La science, la cité

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Mot-clé : organisation de la recherche

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Chronique britannique 3 : les salaires universitaires

A lire chez Romain j. Garcier, également expatrié au Royaume-Uni, une discussion sur les salaires des universitaires. Où l'on apprend, à  la suite d'un article du Times Higher Education, que le salaire brut moyen d'un enseignant britannique est de £43.486, soit environ €46.000, et celui d'un maître de conférences €40.300. La rémunération des présidents d'université atteint des sommets, avec plus de £295.000 par an (soit plus de €310.000) pour celui de University College à  Londres.

Tout cela, vous vous en doutez, étant largement supérieur aux rémunérations françaises.

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Les leçons de la découverte du VIH

Souvenons-nous de ce que woody écrivait sur ce blog en avril dernier :

En biologie et médecine, la France est à  la traîne de l’innovation (pas de prix Nobel depuis plus de 28 ans, ça commence à  être sérieux).

Eh bien voilà , c'est fait : Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier viennent de recevoir le prix tant convoîté pour leur découverte du virus du SIDA, le VIH, en 1983 (l'Institut Pasteur en fêtait les 25 ans il y a quelques mois).

L'histoire de cette découverte est instructive à  plusieurs titres. Nous savons qu'elle a donné lieu à  une querelle de priorité entre l'équipe américaine de Robert Gallo et celle de Montagnier. Lors de l'annonce du prix, on pouvait voir sur le webcast un porte-parole du comité Nobel affirmer qu'ils se sentaient suffisamment qualifiés pour écarter Gallo (une information que je dois à  Attila Csordas). On s'en convaincra en lisant ce récit de Montagnier ou cette chronologie écrite à  quatre mains : le LAV fut isolé en mai 1983 par l'équipe française alors que le HTLV-3 identifié par l'équipe de Gallo fut annoncé en grande pompe (par la Secrétaire d'état à  la santé américaine) en avril 1984. Il s'avèrera que ces deux virus n'en sont qu'un, renommé VIH à  la suite d'une conférence internationale. Par la suite cependant, Gallo fit plus que Montagnier pour soumettre le virus aux postulats de Koch.

Mais la lecture socio-politique de cette controverse est éclairante. Dans un article paru en 1989, Johan Heilbron et Jaap Goudsmit montrent pourquoi l'équipe française a découvert le virus et pourquoi les Américains, qui avaient plus d'expérience et plus de crédit (dans tous les sens du terme), ne l'ont pas trouvé. Heilbron y voit le paradoxe de ce système américain dont l'extrême efficacité peut se transformer en relative inefficacité.

Explications. L'équipe de Gallo formula l'hypothèse que l'agent du SIDA est un rétrovirus et se lança à  la recherche d'un variant du HTLV, le seul rétrovirus humain connu qu'ils avaient eux-même identifié. L'équipe de Montagnier, elle, saisit l'hypothèse au bond mais rechercha plus généralement un rétrovirus humain. En partie par manque d'expérience, et parce qu'ils ne disposaient pas du matériel des Américains, les Français utilisèrent une stratégie plus prudente et une technique plus traditionnelle. Le retard technologique français s'est avéré être un avantage. Le groupe de l'Institut Pasteur collaborait avec un groupe français informel de médecins intéressés par le SIDA. Lorsqu'ils présentèrent ces résultats à  un colloque au Cold Spring Harbor en décembre 1983, le travail fut largement critiqué (notamment par les membres de l'équipe de Gallo) et le virus LAV considéré comme le produit d'une contamination. Toutes sortes de détails, comme l'accent français du groupe ou leurs méthodes de travail, ne pouvait les rendre crédibles face aux mastodontes de la recherche en rétrovirologie humaine. D'autant que Gallo ne se priva pas d'utiliser sa position dominante pour faire paraître dans les actes du colloque un résultat postérieur à  la date du colloque, entre autres pratiques indélicates qui se retournèrent contre lui par la suite.

La morale ? Il y en a plusieurs. Déjà , tout retard n'est pas mauvais en soi : il ne suffit pas d'être à  la pointe pour réussir. Aussi, le groupe français réussit par sa structure souple, son indépendance à  l'égard des bureaucraties de la recherche et de l'establishment médical, alors que dans d'autres pays toutes sortes de procédures administratives ou autres faisaient perdre aux chercheurs un temps coûteux. Comme ce serait le cas aujourd'hui, l'esprit aventureux qui réussit si bien au groupe français fut malheureusement reproché à  Montagnier, l'un des rares membres de l'équipe à  être doté d'un poste "à  responsabilité". Enfin, des résultats sont souvent accueillis à  l'aune de celui qui les porte, et le fait est que les autres Européens s'alignèrent sur les Américains dont ils adoptèrent toute la terminologie, et rirent au nez de nos compatriotes…

Une autre morale nous est fournie par woody, dans son récit de cette découverte et de ses conséquences politiques :

En 1982, un petit groupe de médecin français [dirigé par Willy Rozenbaum] contacte un directeur de laboratoire de Cochin pour lui demander de rechercher un rétrovirus dans le ganglion d’un malade. Ce dernier les envoie sur les roses [tout comme d'autres partenaires contactés] et les médecins s’adressent alors [en décembre 1982] à  Luc Montagnier de [l'Institut] Pasteur. Rapidement, le virus est identifié et la France est à  la tête de la recherche sur le virus du SIDA. Puis le pouvoir politique s’en mêle, crée une agence de recherche sur le SIDA dont la direction est confiée….. au directeur du laboratoire de Cochin. La position de la France sur le domaine du SIDA a rapidement chuté. 10 ans après la politique de cette agence n’était pas évaluée, mais la revue américaine Science s’est fendue d’un article critique qui a fini par aboutir au changement de directeur.

J'ai bien peur que nous soyons encore ce mauvais élève qui ne tire pas ses leçons du passé…

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Quels sont les meilleurs laboratoires français en sociologie des sciences ?

…ou plus largement en "humanités scientifiques", pour reprendre le nouveau terme introduit par Bruno Latour et al. ?

La question est difficile mais depuis la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006, la France possède l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), issue de la fusion du Comité national d'évaluation (CNE) chargé des établissements publics d'enseignement et de recherche sous tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur, du Comité national d'évaluation de la recherche (CNER) chargé des établissements publics à  caractère scientifique et technologique (EPST) et de la Mission scientifique, technique et pédagogique (MTSP), organe d'évaluation du ministère de la Recherche. Ouf ! Dans le cadre de ses missions…, cette nouvelle agence doit notamment évaluer les unités de recherche des universités, établissements d'enseignement supérieur, organismes de recherche etc. Celle-ci se fait tous les quatre ans et inclut désormais la recherche en sciences humaines et sociales.

Le résultat de cette évaluation est rendu public, comme c'est le cas pour les unités de la vague C depuis quelque jours. Or on y trouve une grande partie de la recherche en humanités scientifiques, l'occasion d'un petit exercice de transparence sur ce blog.

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Plaidoyer pour la diversité en science

Pour rattraper le retard omniprésent dans le discours politique sur la science française, une solution est couramment avancée : créer des pôles mondiaux de compétitivité, sélectionner les meilleurs laboratoires et fermer les autres. La science française ne serait-elle pas plus performante avec uniquement des chercheurs qui sortent du lot ?

Le problème de cette rhétorique, c'est qu'elle nie un aspect élémentaire de la recherche scientifique : celle-ci ne se nourrit pas que des meilleurs chercheurs, des prix Nobel. Ce sont les labos moyens qui construisent le terreau sur lequel les meilleurs peuvent pousser et qui forment le chercheur de demain. On peut aussi penser que sont les explorateurs de la science normale d'où émergera la prochaine révolution scientifique (au sens de Kuhn), même si selon certains travaux la différence entre la performance d'un pays dans la science normale et la science révolutionnaire semble suggérer que ces deux systèmes de recherche évoluent vers la séparation. Clairement, la croissance des deux types de science ne va pas toujours de paire.

Ecrémer la recherche par le haut, c'est aussi réduire sa diversité. Or comme le notait le paléo-anthropologue Pascal Picq sur France inter samedi dernier, il y a deux façons d'avancer en science :

  • la démarche dite "ingénieur", qui cherche des solutions à  des problèmes bien identifiés ;
  • la démarche fondée sur la diversité, qui explore l'ensemble des voies possibles sans but immédiat.

Et les biologistes évolutionnistes savent qu'en cas de modification de notre environnement, ce sont les richesses de la diversité qui permettent la survie de quelques uns. Sans diversité et faculté de s'adapter rapidement, c'est tout le monde qui est menacé. Un excellent exemple : six semaines après l'identification du virus du SRAS, l'équipe de Rolf Hilgenfeld (Institut de biochimie de l'Université de Lübeck) publia la structure tridimensionnelle d'une protéine indispensable à  la réplication du SRAS-CoV, ouvrant ainsi la voie à  l'élaboration de médicaments. En pleine flambée pandémique.

"Cette histoire illustre le fait que la recherche ne peut être financée uniquement par des grands programmes planifiés par des agences", souligne le chercheur. "Il faut maintenir une recherche de pointe motivée par la seule curiosité." Cette curiosité avait conduit Rolf Hilgenfeld, dès 2000, à  se demander pourquoi les coronavirus étaient tenus pour inoffensifs chez l'homme, alors qu'ils peuvent provoquer des maladies très graves chez le porc ou le chat. Il entama alors des recherches sur les mécanismes de réplication de ces virus pathogènes d'animaux, quand la crise du SRAS éclata. Dans l'urgence, il étendit par modélisation informatique les résultats de ses travaux au SRAS-CoV, qui en était très proche. Sa publication dans Science le 13 mai 2003, mondialement commentée, suggérait également d'utiliser une molécule déjà  commercialisée, le AG 7088, comme point de départ pour l'obtention d'un médicament.

La diversité se traduit aussi à  travers l'existence de revues moins "butées" que leurs consoeurs, plus ouvertes aux hypothèses nouvelles et orthodoxes. Dans un des articles que je citais pour mon billet sur le rejet des articles scientifiques, on lit ceci (p. 741) :

(…) nous avons besoin de nouveaux canaux de communication pour les théories et opinions alternatives. En économie par exemple, quelques journaux comme l'International Journal of Forecasting publient des articles qui mettent en cause les pratiques et croyances communes. Les scientifiques qui mettent en cause les paradigmes dominants utilisent souvent des revues alternatives qui, assez curieusement, utilisent également le système de revue par les pairs (peer review). Parmi ces revues alternatives figurent le Journal of Scientific Exploration, Medical Hypotheses et le Electronic Journal of Mathematics and Physics.

MàJ 15/03/2010 : Une erreur s'est glissée dans ce passage, en fait les articles de la revue Medical Hypotheses ne sont pas revus par les pairs.

La revue Medical Hypotheses citée ici vaut le détour, et le blog de son rédacteur en chef également. Dans un récent billet-éditorial, il expliquait par exemple pourquoi la science a besoin d'une revue comme la sienne :

(…) l'absence de publication d'une idée qui aurait pu être vraie fait plus de mal que la publication d'une douzaine d'idées qui se révèlent être fausses. Les idées bizarres ont tendance à  attirer l'attention et peuvent stimuler des réponses de valeur ” même quand un article est essentiellement erroné. Un article peut avoir des défauts mais contenir malgré tout les germes d'une idée qui pourra être développée.

Pour autant, le comité de rédaction de la revue évite de tomber dans le piège de la pseudo-médecine ou du relativisme à  tout crin (Medical Hypotheses est ouvert à  la publication de théories scientifiques dans le domaine de la bio-médecine, mais les autres types de théories non-scientifiques sont en dehors de son champ) et reste conscient de son particularisme (la science ne fonctionnerait pas efficacement si toutes les revues étaient comme Medical Hypotheses : il y aurait trop de bruit dans le système). Là  encore, la diversité est nécessaire dans tous les sens

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La physique ne veut-elle pas d'Garrett ?

Garrett Lisi, c'est ce surfeur physicien dont la "théorie du tout exceptionnellement simple" (oui, celle après laquelle courent tous les physiciens théoriciens) défraye la chronique. Le côté surfeur décontracté, scientifique marginal (voire pas scientifique selon certains articles : il a ce profil atypique du chercheur amateur, bien loin de l'image d'Epinal du scientifique reclus dans son laboratoire) participe à  la légende ou en tous cas à  l'intérêt que l'on peut porter au personnage. Sans me prononcer sur le contenu de cette "théorie E8" (dont on peut lire une très belle explication ailleurs), c'est le cas Lisi que j'aimerais aborder.

Car comme le fait remarquer blop en commentaire, Garrett Lisi est loin d'être un franc-tireur : diplômé en mathématique et docteur en physique, pur produit du système universitaire américain, comptant des publications dans J. Phys. A. et Phys. Rev. E, son CV pourrait faire beaucoup de jaloux. Mais Garrett Lisi fait du surf. Etonnant, non ? Laissons-le raconter son parcours (ma traduction) :

Quand j'ai obtenu ma thèse en 1999, j'ai dû prendre des décisions difficiles. Mes trois amours en mathématique et en physique ont toujours été la géométrie différentielle, la relativité générale et la théorie quantique champ. A ce moment, les seules postes disponibles liés à  ces centres d'intérêts étaient en théorie des cordes. J'ai bien étudié un peu les cordes… mais je ne pouvais pas avaler cette pilule. Il y avait trop d'hypothèses non vérifiées expérimentalement et il me semblait improbable que l'univers fonctionne de cette façon. J'ai donc dû choisir entre quitter la physique et gagner ma vie, rester dans la physique et travailler sur autre chose ou travailler sur la physique qui me plaisait grâce à  des petits boulots alimentaires. J'aimais la physique plus que tout donc j'ai choisi cette dernière voie, qui s'est avérée difficile. Très gratifiante, mais difficile. C'est difficile de découvrir les secrets de l'univers quand vous essayez de savoir où vous et votre copine allez dormir le mois prochain. Mais je pense que j'ai fait le bon choix — ça a même mieux marché que je l'espérais.

Voilà  donc comment Lisi se retrouve à  enseigner la physique à  Hawaï, à  investir sa bourse d'étudiant dans des actions Apple et à  devenir moniteur de surf. Cet épisode est intéressant à  plusieurs titres : il montre qu'il n'y a pas une physique mais de nombreux types de physique, au sein desquelles la théorie des cordes a incontestablement une position dominante. Selon Brian Green et Lee Smolin, il y aurait actuellement environ mille membres actifs dans la communauté de la théorie des cordes, à  comparer avec la centaine de chercheurs que compte la théorie alternative la mieux placée, la gravitation quantique à  boucles. Pas parce qu'elle est plus "vraie", non, mais parce qu'elle a réussi sa main basse sur la physique (pour une analyse historique, sociologique et épistémologique de cet état de fait, je conseille ce billet très complet en quatre parties : 1, 2, 3 et 4). Difficile dans ces conditions de trouver du travail quand on y est opposé.

Mais Lisi n'est pas le seul critique de la théorie des cordes : certains comme Peter Woit, John Baez ou Lee Smolin ont des postes qui leur permettent de défendre une position minoritaire. Et afin d'encourager des recherches fondamentales et non-conventionnelles en physique et en cosmologie, Smolin a accepté d'être conseiller scientifique du Foundational Questions Institute (FQXi) qui accorde des bourses aux chercheurs méritants. C'est ainsi que Garrett Lisi a reçu une aide de 77 280 dollars.

C'est le deuxième enseignement : la recherche peut se faire ailleurs que dans les institutions officielles, à  condition d'en reprendre peu ou prou le modèle (les candidatures sont évaluées par les pairs sur la foi d'un CV et d'un dossier de recherche), quitte à  offrir une plus grande liberté. Toujours selon le témoignage de Lisi : S'il n'y avait eu cette occasion d'obtenir une bourse FQXi… j'aurais probablement accepté un poste permanent de professeur (NdT : à  Hawaï) et je n'aurais pas eu la chance de découvrir cette connection E8 étonnante.

Finalement, tout cela fait moins de Lisi un scientifique mercenaire que Grigori Perelman par exemple, électron libre des mathématiques. Mais l'intérêt qu'on peut lui porter n'est pas moins grand puisque cette marginalisation est quasi structurelle et dit beaucoup de choses sur l'organisation de la recherche et la science qui peut en découler…

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